« Évoluer dans un monde en perpétuelle transformation est une révolution permanente » – Entretien avec Lubomira Rochet

Lubomira Rochet, Directrice Générale chargée du digital, évoque la réinvention de l’expérience beauté et l’avènement de la « BeautyTech ».

Vous avez rejoint L’Oréal en 2014 en tant que Directrice Générale chargée du digital. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours ?

J’ai une formation d’économiste. Lors de mes études supérieures à Berkeley, j’étais en immersion complète dans l’écosystème des nouvelles technologies : j’ai toujours fait carrière dans le digital. J’ai rejoint L’Oréal après avoir quitté Valtech, cabinet spécialisé dans la transformation numérique, où j’étais directrice générale. Avant cela, j’ai travaillé chez Microsoft et Capgemini. Ma carrière s’est concentrée sur les initiatives de transformation et les changements radicaux – des acquis que j’ai ensuite apportés avec moi chez L’Oréal.

Pouvez-vous nous décrire votre rôle – et la manière dont vous l’avez fait évoluer ?

Mon rôle est de piloter et d’orchestrer la transformation digitale chez L’Oréal. Il y a sept ans, 2 % du total de nos ventes s’effectuaient en ligne. La part du digital, en pleine croissance, a aujourd’hui dépassé les 50 %. Nous sommes parvenus à ce résultat grâce à un travail d’équipe et en mettant l’accent sur la formation des collaborateurs. 32 500 collaborateurs ont été formés en marketing digital, data et sensibilisés aux méthodes agiles. Nous sommes de plus en plus tournés vers l’utilisation de la donnée pour une meilleure personnalisation. C’est pourquoi nous utilisons des techniques de marketing d’influence et autres formats créatifs innovants pour atteindre notre objectif : d’apporter « la beauté pour tous ».

Le digital a été absolument essentiel pour toucher une nouvelle génération de clients. Grâce à l’excellent travail de nos équipes dans le monde entier, L’Oréal opère comme une entreprise digital native, mais à l’échelle d’un leader mondial. Nous déployons partout notre nouveau modèle d’organisation, le Marketing 3.0, afin de créer les meilleures expériences clients grâce à nos produits, nos contenus et nos services.

Nous avons également créé une plateforme d’analyse de données unique en son genre, qui fonctionne en temps réel et nous permet de visualiser les performances de chacune de nos marques dans tous nos pays et sur l’ensemble du spectre du marketing numérique. Cela aide les équipes marketing locales à prendre les bonnes décisions en matière de planification et d’investissement. Nous ne disons jamais de manière arbitraire « vous devriez investir dans ceci ou cela ». Tout se base toujours sur des données, et l’analyse de de médias au niveau local, selon les pays et la catégorie de produit.

Enfin, nous nous préparons pour l’avenir grâce à des technologies efficaces – la reconnaissance vocale, la réalité augmentée et l’intelligence artificielle. Nous avons racheté ModiFace, leader sur le marché de l’IA et de la réalité augmentée. Nous accélérons le développement et le déploiement de technologies d’essayage virtuel de maquillage ou de coiffure, de diagnostics dermatologiques en ligne grâce à l’IA et le livestreaming. La beauté et le digital s’allient à merveille.

Quels sont vos plus grands défis dans le monde digital ?

Le RGPD, en Europe, a réveillé notre secteur, et déclenché un mouvement impactant toutes les activités numériques. Il a signé la fin du « privilège exorbitant » des plateformes de Big Data. Pour nous, chez L’Oréal, cela signifiait également que nous devions repenser notre stratégie, pour nous orienter vers un marketing de la permission, dans l’optique de résoudre les problèmes de nos clients grâce à nos services beauté.

L’un des défis pour les marques et pour toutes nos institutions, c’est le déclin de la confiance. Les gens sont bombardés quotidiennement de milliers de messages. Le « burn out digital » est un vrai sujet : une recherche Google à ce sujet livre 36 millions de résultats. Les gens ont soif d’authenticité, ce qui explique l’avènement de nouvelles plateformes peer-to-peer considérées comme plus authentiques et plus vraies, comme TikTok, Twitch ou Reddit. Il nous faut être au cœur même de l’innovation avec nos marques, et notre communication doit se démarquer radicalement dans les fils d’actualité de nos clients – « stop the feed » !

Quelles sont les plus belles occasions à saisir dans le digital ?

Nous sommes une entreprise digital first. Notre transformation digitale se poursuit à une vitesse vertigineuse. Les gens et les communautés sont au cœur de notre marketing. Seuls les meilleurs services et les meilleures expériences beauté pourront attirer de nouveaux clients, gagner leur confiance et mériter leur attention.

L’IA et le machine learning sont des domaines de transformation enthousiasmants, et permettent à notre groupe d’être bien équipé pour affronter un monde très instable. Nous serons en mesure de prédire les tendances et de mieux personnaliser nos interactions avec nos clients grâce à des algorithmes en apprentissage perpétuel. De mon point de vue, le digital permettra de construire l’avenir de L’Oréal en tant qu’entreprise de BeautyTech alimentée par la data et l’IA.

Personnellement, quels sont les défis qui vous inspirent ?

Aujourd’hui, les émissions de carbone liées à l’écosystème numérique sont équivalentes aux émissions de carbone totales liées au transport aérien dans le monde. Je me demande souvent comment construire un écosystème numérique responsable du point de vue environnemental. Que pouvons-nous faire pour réduire notre impact sur l’environnement ? Des emballages plus verts pourraient être une première étape. Le digital est au cœur de notre marketing mix et de notre modèle. Je pense que nous devrions montrer l’exemple à notre secteur en créant un code de conduite et une charte éthique du digital. D’une manière plus générale, un débat doit avoir lieu à l’échelle du secteur tout entier sur l’éthique des algorithmes – la transparence, le consentement – et comment nous respectons la vie privée de nos clients tout en leur donnant les informations dont ils ont besoin pour bien choisir leurs produits et leurs services.

Vous êtes une source d’inspiration pour beaucoup de femmes dans le secteur du digital. Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes qui souhaitent réussir dans ce domaine ?

Il faut développer votre confiance en vous-même, en ceux qui vous entourent et en cette « petite voix » qui vous habite. La confiance en soi est un cheminement. Écoutez les personnes qui vous encouragent.

Mon premier emploi m’a permis de découvrir ma voie. Rien n’allait de travers, mais je ne me voyais pas rester à ce poste de manière permanente. Je suis partie après cinq jours. C’était un grand « non ». Essayez de vous souvenir de la première fois que vous avez dit « non ». C’est un tournant important.

Vos réussites et vos échecs bien gérés doivent être source de confiance. Les gens vous soutiendront, se fieront à vous. Je me souviens de ma première présentation chez L’Oréal, et du regard de mes collègues, plein de confiance, qui m’a ensuite donné à mon tour la confiance nécessaire pour leur présenter ma feuille de route – une confiance extraordinaire pour entamer la transformation digitale chez L’Oréal.